Une fois sortis du restaurant, Louis prend Michèle par les épaules ; elle ne proteste pas.
- La soirée est douce Michèle ; idéale pour une petite promenade en bord de Seine. Mais si tu as froid, dis-le-moi je te serrerai plus fort.
- J’ai un peu froid, c’est certain Louis.
Louis la serre davantage, puis lui saisit le bras, qu’il amène autour de sa propre taille.
- Comme ...c’est mieux ainsi, ne trouves-tu pas ?
- Oui je n’avais pas si froid à vrai dire mais comme vous m’avez promis de me serrer plus fort, j’ai joué les frileuses.
- Petite coquine !
Louis s’arrête de marcher, fait face à Michèle, lui enserre la taille et lui pose légèrement les lèvres, là, à la base du cou ... qu’il se met à explorer lentement : un contact très discret, une caresse furtive ; parfois il lui lance un léger coup de langue ou l’abreuve d’une délicate brise tiède. Calmement sa bouche remonte vers l’oreille, en titille le lobe, mordille la perle qui l’orne avant que sa langue se lance à l’assaut des replis et tente une entrée dans le conduit auditif. Michèle frémit de plaisir et gémit doucement tandis que ses doigts se saisissent maladroitement de la nuque de Louis.
- Tu n’as pas froid ?
- Oh non.
Quelques pas à nouveau sans se parler, serrés l’un contre l’autre, tête contre tête : c’est que tout naturellement, il a repris possession de l’épaule de Michèle, alors que celle-ci, spontanément, lui a enserré la taille. Une très lente parodie de marche, ponctuée de petits bisous à la dérobée et de sourires complices.
- Tu es belle Michèle !
- Flatteur !
- Et tellement désirable !
Louis fait à nouveau face à Michèle et se remet à la butiner. Ses doigts à elle s’enhardissent, et prennent nettement possession du cou de son partenaire. Il étend, lui, son champ d’exploration : ses lèvres, sa langue, son souffle conquièrent maintenant les yeux, les sourcils, le front, le nez et les joues de Michèle. Puis atteignent sa bouche ; il lui lèche et lui mordille les lèvres ; bouche contre bouche, le souffle coupé, elle cesse ses gémissements discrets. Ils se lancent alors dans un long baiser langoureux. Ses ongles se crispent sur le cou de Louis tandis qu’il lui étreint fermement la tête. Enfin, essoufflés, ils mettent fin aux joutes de leurs langues. Ils se regardent alors dans les yeux et se sourient, sûrs l’un de l’autre, sûrs du plaisir qui les unit, sûrs du plaisir qui va les réunir au cours de la nuit qui vient. Ils reprennent leur marche, chacun accroché à la taille de l’autre.
- Étrange relation que la nôtre, Louis. Nous ne nous connaissions pas il y a quelques heures, et nous voilà devenus maintenant des amis intimes qui flânent sur le bord du fleuve
- Nous nous plaisons Michèle, c’est évident. Rien de mauvais ne peut nous arriver.
Tandis qu’ils continuent à cheminer, la main de Louis se met à arpenter précautionneusement la hanche de Michèle.
- Ah je vois Louis, vous êtes en train de vous assurer que je vous ai bien obéi lorsque je suis allée aux toilettes avant de quitter le restaurant, que je suis vêtue de la manière impudique que vous m’avez ordonnée.
- Je ne fais pas d’enquête Michèle, je n’ai rien d’un policier. Par ailleurs je ne t’ai jamais donné d’ordre ; je t’ai simplement proposé cela … parce qu’évidemment je le souhaitais, mais aussi parce que tu allais te créer là un magnifique souvenir dont tu vas dorénavant être très fière. Fière de toi-même, fière en toi-même, fière de pouvoir mentionner cette audace que tu as eue là à Marie ... seulement à Marie évidemment. Cette fierté-là t’habitera maintenant toute la vie. Ce sera ton secret, notre secret, un secret à nous deux, strictement limité à toi et moi ... et à Marie bien entendu. Tu as osé, c’est fabuleux ! Je n’ai pas de contrôle à effectuer : je savais que cet exploit tu allais le réaliser, qu’il me suffirait de t’apporter la petite impulsion nécessaire pour que tu accomplisses cette chose, qui au fond s’est si facilement imposée à toi et qui t’est apparue tellement naturelle. Quel beau cadeau tu me fais là Michèle ! Quel beau cadeau tu t’offres également ! Quelle réussite pour nous deux !
- Tout ce long discours pour me signifier que je vous suis soumise ... Moi la femme forte, autoritaire et implacable, voilà maintenant que je me montre soumise à un homme qui n’est pas de mon âge que je n’avais jamais vu il y a quelques heures encore, et qui pourtant n’affiche pas envers moi une franche autorité de macho. Quel charisme vous avez Louis !
- Curieuse interprétation.
- Non Louis ; je n’ai jamais été une femme soumise ; pourtant je me suis soumise à vous en seulement quelques heures. Vous m’avez apprivoisée. Considérez bien l’extraordinaire de notre situation toute neuve : vous n’avez pas la moitié de mon âge, je suis professeur d’université, un professeur qui ne passe pas pour être commode, une notable également ; et vous, vous êtes seulement un étudiant. Jamais un de ceux dont je dirige la thèse ne s’est permis de m’appeler par mon prénom, encore moins de me tutoyer. Et si je m’autorise, moi, à les désigner par leurs prénoms, je m’astreins néanmoins à les vouvoyer. Pourtant, d’entrée vous m’avez tutoyée. Je ne m’y attendais pas. Et extraordinaire, j’ai trouvé cela naturel. Pour la première fois de ma vie un inconnu me tutoyait … et je n’ai pas trouvé cela déplacé. Et j’ai également trouvé naturel de vous vouvoyer malgré votre familiarité évidente.
- Cela t’a choquée que je te tutoie ?
- Au contraire, j’ai beaucoup aimé. J’aurais dû détester, mais votre toupet m’a subjuguée : avec quelle aisance vous avez su inverser les hiérarchies établies, remettre en question l’ordre des choses. Cela m’a plu, m’a séduite, c’est évident. Je viens d’admettre que tout pouvait finalement être remis en question ... et c’est à vous que je dois cette découverte. Je suis une personne naturellement autoritaire … et vous avez refait de moi une femme. Trop respectée au cours des années, je ne voyais plus le monde que comme ordonné … avec une place pour moi … tout en haut. Vous n’avez pas joué le jeu du respect qu’on doit à une notable … vous avez nié tout cela … pour ne me considérer que comme une femme … un objet que convoitent les hommes, un objet qui peut redevenir fière du charme qu’elle exerce sur l’homme. Avec vous, nous ne sommes plus des êtres sociaux, hiérarchisés, mais une femme et un homme qui ont envie de ne jouer que ce rôle-là : être une femme et un homme. Merci Louis de m’avoir amenée là. Bien entendu je ne vais pas lancer pour autant ma vie sur le chemin de la révolution mais j’ai compris que les frontières qu’on établit autour de soi ne sont pas des citadelles absolues dans lesquelles on croit s’abriter. Les murailles finissent toujours par s’écrouler. Vous m’avez aidée à me remettre en cause, Louis. En quelque sorte vous m’avez permis de me révéler. Vous venez de faire une entrée fracassante dans ma vie. Encore merci. Et quand je reprendrai demain ma vie dans la société … ma vie normale … une petite flamme continuera à briller au fond de moi … Je continuerai certes à demeurer une … bourgeoise, mais une bourgeoise qui saura qu’il existe également un autre monde, un monde intime, affectif, un monde où je puis être moi-même, où je peux laisser libre cours à ma féminité, un monde où je ne suis pas sans cesse obligée de contrôler que je joue bien le rôle que la vie m’a assigné.
- C’est moi, Michèle, qui dois te remercier. Ta sincérité est le cadeau le plus magnifique que tu pouvais me faire. Nous allons nous tutoyer ; veux-tu ?
- Non, j’ai plaisir à vous vouvoyer … la bourgeoise BCBG… et je veux continuer à le faire : je dois bien quand même, ne pas jeter toutes les amarres. Et je veux également que vous continuiez à me tutoyer. Et l’insoumise viscérale que je suis, pour ces problèmes de tutoiement-vouvoiement est intraitable : ce n’est pas négociable ! Ma soumission à vous n’en est pas une, ce n’est qu’une apparence que je me donne, et qui me sied bien ce soir. Je ne serai jamais à vos ordres comme vous refuserez d’être aux miens : nos relations ne seront jamais hiérarchiques, mais tout en partage. Laissons les choses en état : laissez-moi le plaisir de vous vouvoyer et de vous entendre me tutoyer. Ce sera là notre mystère, un de nos mystères.
- Oui Michèle ; tu es adorable.
- Savez-vous Louis que par votre présence à mes côtés je me sens plus femme ... je me sens femme tout court. Un autre mystère de notre rencontre.
- Tu viens de me tenir là un joli cours magistral Michèle, madame le professeur devrais-je dire.
- Et si nous cessions là ces discussions et que nous décidions de rejoindre votre appartement Louis ? Vous n’avez pas changé d’avis au moins ? … Vous semblez si peu impatient de le rejoindre …
Enlacés ils quittent les bords de Seine, rejoignent les quais et se dirigent vers l’appartement de Louis. Leur cheminement est lent, entrecoupé d’arrêts fréquents : ils se saisissent alors l’un l’autre, s’échangent des caresses et s’embrassent.
C’est la fête, le bonheur les inonde. La nuit est magnifique, la lune ne les quitte pas de l’œil. Manque seulement le barde, mais en observant bien on l’aperçoit dans un recoin sombre, bâillonné et solidement ligoté : quelques voyous gaulois ont encore estimé que sa musique gênait. Le bonheur des uns implique souvent le sacrifice des autres. Pauvre barde ! Qui se soucie jamais des sacrifiés ?
Ils arrivent au pied de l’immeuble.