De : « Auréline »
A : « Janus »
Objet : Re: Nouvelle séance
Cher Master J.,
Je me conforme à vos exigence en vous relatant cette nouvelle séance par le détail. Quitte à encore une fois vous paraître bien naïve, je dois avouer que je ne m’attendais pas à un accueil aussi sympathique. Mais je vais trop vite. Commençons par le lieu. Une banlieue proche de Paris, bien différente de l’affreuse zone d’activité de ma première expérience de modèle – je passerai sous silence l’hôtel minable près de Pigalle, lors de mon entrevue avec Monsieur.
Maîtresse Claudia m’invite elle-même à entrer. Elle est charmante, pas beaucoup plus vieille que moi en fait, parle très bien le français, avec un léger accent agréable à l’oreille. Il émane d’elle une impression de douceur mêlée d’autorité naturelle. Elle me demande de sa voix suave de retirer mes chaussures. Nous entrons dans un grand loft éclairé par une impressionnante verrière. Je peine à calculer la hauteur sous plafond. Au milieu de la pièce, une pyramide, assemblage de trois robustes tiges de bambou nouées à leur sommet, doit atteindre plus de deux mètres. N’ayant reçu aucun consigne vestimentaire, je ne porte qu’un jean et une chemise.
« Dois-je me dévêtir ? » demandé-je. Elle sourit : « non, tu verras, c’est inutile ». Une petite pause. Elle reprend, toujours souriante : « tu dois juste mettre le masque, je suppose que tu l’as apporté… Disons qu’un peu d’isolation sensorielle fait partie du dispositif ». Je sors le masque de mon sac et le lui tend. Elle s’en saisit d’un geste très doux, passe derrière moi et me couvre les yeux. « Laisse-toi guider par ma voix » chuchote-t-elle près de mon oreille. Privée de la vue, je remarque une musique très douce, à peine audible. Je crois reconnaître des bols tibétains.
« Tu dois me faire confiance, reprend Maîtresse Claudia. Même si nous nous connaissons à peine ». Tout en parlant, elle défait un à un les boutons de mon chemisier.
– Lève un peu les bras.
Elle ne retire pas mon soutien-gorge. Je sens le contact de la corde, douce comme du coton. Elle fait plusieurs tours, au-dessus et en-dessous de mes seins. J’imagine que le photographe est là, qu’il fait son travail. Cela contribue à mon excitation.
Maîtresse C. poursuit mon déshabillage. Je n’ai plus de jean. Elle replie une de mes jambes contre la cuisse et l’attache. Mon équilibre est précaire. Je commence à osciller. Toujours la musique, étrange. Je me sens bizarre, tout s’embrouille. Elle me soutient. Je me colle contre elle. Je tends mes lèvres. J’aimerais tant qu’elle m’embrasse. Jamais je n’avais ressenti cela pour une femme.
Elle susurre : « Souviens-toi de ce que j’ai dit. Tu dois me faire confiance. Je vais te lâcher. Tu ne tomberas pas. »
Je ne chute pas. Je bascule, je tourbillonne. Un petit cri de surprise m’échappe. Les cordes qui m’enserrent doivent être liées à la structure en bambou. J’ai l’impression de flotter, à trente centimètres du sol. La main de Maîtresse C. m’effleure à peine, d’une légère poussée, elle me fait danser. Je perds la notion du temps. Au bout de ce qui paraît des heures, Maîtresse C. me dit qu’il est temps d’arrêter. Je lui demande de continuer, encore un peu. « Non, dit-elle, ce n’est pas raisonnable de prolonger plus longtemps la première séance ».
Elle me détache et m’aide à m’asseoir. Sur une table basse, elle a disposé du thé et des gâteaux. Le photographe est parti. Il est resté d’une discrétion absolue. Nous discutons un peu, principalement de mes études. Nous ne parlons pas de ce qui vient de se produire. Maîtresse C. me dit qu’elle a un autre rendez-vous. Au moment de prendre congé, elle me claque une bise, comme à une bonne copine. « A une autre fois, chuchote-t-elle. Si un jour tu viens à Berlin, pense à moi. »
Ainsi se termine le récit de cette nouvelle expérience qui s’est avérée exténuante. Je vous prie de m’excuser et prends congé. Je crois que je vais dormir pendant deux jours.
Bien à vous, cher Maître,
Auréline.